Dans une initiative qui suscite de vives réactions, le Rwanda a procédé à la fermeture de milliers d'églises évangéliques, une mesure qui touche profondément le paysage religieux du pays. Parmi les lieux de culte fermés se trouve la Grace Room Ministry, un temple chrétien populaire qui attirait des foules impressionnantes dans le plus grand stade couvert de Kigali. Cette action s’inscrit dans une politique de régulation stricte des églises, lancée par le président Paul Kagame sous la bannière de nouvelles règles de sécurité, de transparence et de qualification des pasteurs.
Depuis 2018, sous l'impulsion de l'administration de Kagame, les autorités rwandaises ont instauré des régulations strictes concernant les églises et les activités religieuses. Ces règles exigent que les églises soumettent des rapports financiers annuels, que les pasteurs soient formés et diplômés en théologie, et que les lieux de culte respectent des normes de sécurité strictes, comme les règles de sécurité incendie, rapporte Tv5monde.
Les autorités ont fait valoir que ces fermetures sont nécessaires pour garantir la sécurité publique, notamment dans un contexte où des incidents tragiques liés à la gestion inappropriée des églises ont eu lieu dans d'autres pays africains. Mais dans le cas du Grace Room Ministry, la fermeture a été justifiée par le non-respect des règles de soumission des rapports d’activité. Pour Julienne Kabanda, la pasteure de l’église, cette mesure a provoqué une immense déception, particulièrement après avoir rassemblé des milliers de personnes dans un espace moderne, la BK Arena, à Kigali.
Les raisons derrière cette politique sont, pour beaucoup, liées à une volonté de contrôle. Le président Kagame, qui gouverne d'une main ferme depuis 1994, n’a jamais caché sa méfiance vis-à-vis des églises évangéliques. Selon lui, ces établissements religieux ne jouent souvent qu’un rôle fragmenté, sans contribution visible aux enjeux de développement tels que l’éducation ou la santé. En novembre dernier, Kagame a exprimé son désaveu total de ces églises en déclarant que "beaucoup ne font que voler… certaines ne sont qu’une tanière de bandits". Ce rejet des institutions religieuses semble également traduire une volonté de monopole du pouvoir politique, comme le souligne l’analyste politique Louis Gitinywa, pour qui "le FPR ne tolère aucune concurrence".
Le Rwanda, un pays à majorité chrétienne, connaît un véritable booming religieux depuis le génocide de 1994, qui a poussé de nombreux citoyens à chercher un refuge spirituel. Cependant, l’essor des églises évangéliques a donné lieu à des abus dans certains cas : profit, manipulation et manque de transparence. À ce sujet, de nombreux analystes, dont Ismael Buchanan, enseignant en science politique, estiment que "la religion a joué un rôle clé dans la guérison du pays après le génocide". Mais il n’est pas logique, selon lui, d’avoir une église tous les deux kilomètres à la place d’hôpitaux ou d’écoles.
La fermeture des églises évangéliques, bien que justifiée par la nécessité de maintenir l’ordre, a suscité une vague de protestations parmi les fidèles et les responsables religieux. Certains dénoncent une répression excessive, et la situation de la Grace Room Ministry a particulièrement attiré l'attention. De nombreux habitants et membres de la communauté ont exprimé leur mécontentement face à la fermeture brutale des lieux de culte, qu’ils considèrent comme des réductions de leur liberté religieuse.
Le maire de Kigali, par exemple, a appelé les autorités à trouver un juste milieu, permettant aux églises de contribuer activement au développement sans pour autant négliger les aspects de sécurité et de transparence.
Le débat sur les restrictions religieuses à l’échelle nationale continue de diviser les citoyens rwandais. D’un côté, les défenseurs de la régulation affirment que ces mesures sont nécessaires pour éviter les abus. De l’autre, certains accusent le régime de Kagame de vouloir limiter l’influence religieuse en faveur du contrôle politique. Ce dilemme met en lumière les tensions entre liberté religieuse et autorité politique dans un pays qui, après le génocide, cherche à se redéfinir et à se reconstruire.
En fin de compte, l’avenir des églises au Rwanda semble étroitement lié à la volonté de l’Etat de contrôler les forces sociales qui influencent le pays. Pour beaucoup, ces fermetures symbolisent une nouvelle phase dans le contrôle des pratiques religieuses, même si elles continuent de répondre à un besoin profond de foi dans une nation en quête de réconciliation.
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