Un puissant appel à la justice se fait entendre à travers l’Afrique, porté par plus de 600 chefs religieux, qui exigent des réparations de la part de la Fondation Gates. Ces leaders spirituels, venus de tous les coins du continent, ont signé une lettre ouverte appelant à des réparations pour les préjudices écologiques et sociaux provoqués par l'agriculture industrielle. Ils demandent également une transition juste vers des pratiques agroécologiques. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la campagne menée par l’Institut pour l’environnement des communautés religieuses d'Afrique australe (SAFCEI), en collaboration avec des réseaux tels que l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA).
Cette nouvelle lettre réaffirme et amplifie l’appel lancé en 2020, demandant à la Fondation Gates de cesser son soutien à la Révolution verte en Afrique, un modèle de développement agricole qui cherche à industrialiser l'agriculture tout en modifiant les législations semencières africaines. L’édition actualisée de la lettre a été lancée lors de l'événement « Promouvoir l'égalité des genres dans le leadership climatique » organisé à l'occasion de la Journée africaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, le 29 octobre 2025. Cette initiative met en lumière un consensus grandissant parmi les chefs religieux, communautaires et traditionnels : l’avenir alimentaire de l’Afrique doit reposer sur des bases locales, écologiquement durables et socialement équitables, rapporte SAFCEI.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Malgré des investissements dépassant le milliard de dollars américains dans le cadre de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), les résultats sont alarmants : la faim a augmenté de plus de 30 % dans les pays ciblés par AGRA. Comme l'explique Gabriel Manyangadze, responsable du programme Justice alimentaire et climatique chez SAFCEI : « Au lieu d’éradiquer la pauvreté, le modèle agricole soutenu par AGRA a renforcé la dépendance financière des agriculteurs, appauvri les sols et sapé la souveraineté des exploitations agricoles en Afrique. C'est pourquoi nous demandons à la Fondation Gates de verser des réparations aux petits exploitants agricoles qui ont souffert des conséquences de l'agriculture industrielle. »
Les chefs religieux, de plus en plus unis dans ce combat, insistent sur le fait qu'il est grand temps pour la Fondation Gates de reconnaître les dommages infligés par son modèle et de réinvestir dans des pratiques agricoles qui restaurent la résilience des agriculteurs et des écosystèmes africains. « L’agriculture industrielle a non seulement aggravé la faim, mais aussi réduit la diversité des cultures locales et porté atteinte aux droits des agriculteurs sur leurs semences. Il est impératif que la Fondation Gates reconsidère son approche et soutienne une transition vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement et des communautés », poursuit Manyangadze.
Le rôle des femmes est également au cœur de cet appel à la transformation. Selon Ulfat Masibo, directrice exécutive du Réseau d’action des femmes musulmanes d’Afrique (Kénya), « Les réparations sont cruciales. Des décennies de dommages causés par l’agriculture industrielle requièrent une action réparatrice. Nous, communautés religieuses, avons un devoir de protection envers la vie, la dignité et la terre. Les bailleurs de fonds et les décideurs doivent investir dans la réparation, encourager le leadership féminin et soutenir des systèmes alimentaires résilients qui nourrissent la création plutôt que de l’exploiter. »
Doreen Badze, guérisseuse traditionnelle et agroécologue du Zimbabwe, explique également l’importance de ces réparations pour les femmes agricultrices : « L’agriculture chimique a détruit nos sols et nos communautés. Le retour à l’agroécologie permet de restaurer la terre, de respecter la sagesse ancestrale et de rétablir notre lien avec la nature. Les réparations ne se limitent pas à des compensations financières, elles visent à guérir notre relation à la terre et aux autres. »
Les recherches menées par l'Université Tufts et d’autres institutions indépendantes ont démontré que la Révolution verte en Afrique, soutenue par la Fondation Gates, n’a pas permis de tenir les promesses d’amélioration des rendements agricoles, ni d'améliorer les conditions de vie en milieu rural. Au contraire, elle a épuisé les ressources naturelles et diminué la biodiversité. En revanche, l'agroécologie, un modèle basé sur des pratiques agricoles durables et locales, a prouvé son efficacité pour restaurer l’écosystème, améliorer la sécurité alimentaire et renforcer la résilience climatique des communautés.
Francesca de Gasparis, directrice exécutive de SAFCEI, souligne que les communautés religieuses ne sont pas seulement des voix morales, mais aussi des agents de changement. « Les croyants, les institutions religieuses et les chefs traditionnels du continent s’unissent pour défendre la vie et la terre. Avec plus de 600 signataires parmi les chefs religieux, ce mouvement grandissant en faveur de réparations et de la transition agroécologique est en train de prendre une ampleur impressionnante. Il est temps pour les bailleurs de fonds, les gouvernements et les décideurs d’écouter et d’agir. »
Ce lancement stratégique de la campagne intervient alors que les bailleurs de fonds internationaux réévaluent leurs investissements dans les domaines du climat et de l’agriculture, à l’approche de grands sommets mondiaux. Les voix africaines réclament des financements qui ne renforcent pas la dépendance et la destruction de l’environnement, mais soutiennent des systèmes agricoles communautaires, égalitaires et écologiquement régénérateurs.
SAFCEI appelle toutes les organisations confessionnelles et communautaires, ainsi que le grand public, à signer cette lettre et à manifester leur solidarité avec les chefs religieux africains. Les signatures seront ouvertes jusqu’à fin novembre 2025, date à laquelle la lettre sera remise officiellement à la Fondation Gates.
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