Le pasteur Cue Jn-Marie a créé une Église de rue pour aller à la rencontre de sans-abri et prier avec eux dans le quartier de Skid Row à Los Angeles, aux États-Unis.
À Skid Row, on prie Dieu comme on dort : à la belle étoile. Comme chaque vendredi soir, depuis huit ans, c’est sur un trottoir crasseux du plus grand ghetto de SDF des États-Unis, à Los Angeles, que le pasteur Cue Jn-Marie installe son église à ciel ouvert. Un pupitre, quelques chaises pliables en plastique et deux lampes halogènes pour éclairer le carrefour plongé dans l’obscurité. Bienvenue à The Church Without Walls, l’Église sans murs.
Ils sont une cinquantaine – SDF, étudiants et personnes issues de milieux plus aisés – à s’être rassemblés ce soir pour chanter et prier au cœur de l’enfer urbain qu’est Skid Row. Le quartier compte plus de 3 500 sans-logis vivant dans des cartons, des tentes et autres logements de fortune, sans eau ni électricité. Un tiers d’entre eux souffre de problèmes mentaux ou d’un handicap physique.
Ancien rappeur
Malgré les gangs et l’insécurité qui sévissent dans le quartier, le pasteur refuse de prier ailleurs que dans la rue. « Notre association pourrait bientôt obtenir un local à Skid Row. Nous l’utiliserons pour l’aspect logistique et nos réunions de bénévoles. Mais nous mettons un point d’honneur à continuer de prier en extérieur. Fermer nos murs, ce serait se mettre des œillères. Nous n’avons pas le droit d’être confortables ! Sinon, nous ne sommes plus The Church Without Walls ! »
Le pasteur est originaire du quartier afro-américain de Crenshaw où ont démarré en 1992 les grandes émeutes raciales de Los Angeles. C’est en regardant le film Malcolm X que cet ancien rappeur, produit par Virgin, dit avoir reçu l’appel de Dieu. « J’ai abandonné le monde de la musique en 1994 et prêché dans plusieurs paroisses de la région de L.A, avant de créer l’église de Skid Row, il y a 8 ans : la première fois que je suis allé dans ce quartier, j’ai eu un véritable choc. J’ai eu envie de faire quelque chose. J’ai commencé par donner un cours de Bible sur le trottoir qui s’est petit à petit transformé en office. »
L’Église fonctionne grâce à ses bénévoles et au soutien d’une plus grosse structure, New Song, une Église évangélique émergente basée dans l’Orange County, région aisée du sud de Los Angeles.
Sa petite sœur de Skid Row ne se définit pas elle-même comme émergente, même si elle en possède certaines caractéristiques : son discours et son action centrale en faveur de la justice sociale et son opposition à l’idée d’une Église institutionnalisée et structurée.
Allergique aux étiquettes, le pasteur Cue Jn-Marie préfère, lui, qualifier The Church Without Walls d’« Église non dénominationnelle ». « On me demande souvent : “À quel mouvement te rattaches-tu ? Dans quel séminaire as-tu étudié ?” Je réponds toujours : “Au séminaire Skid Row !” », lance-t-il en éclatant de rire.
L’office suit un déroulé très simple, sans lectures. À part quelques chants d’introduction et de conclusion, le pasteur se concentre essentiellement sur son prêche qui dure plus d’une heure. « Jésus venait d’abord en aide aux pauvres et aux personnes marginalisées », rappelle-t-il, en accompagnant ses mots de sa gestuelle de rappeur, qui captive l’assemblée. « La société n’accorde aucune valeur aux pauvres et les classe tout en bas de l’échelle. Mais ne vous fiez pas aux apparences : c’est d’abord à vous que Dieu fait confiance pour prêcher les évangiles et devenir des disciples, en raison de votre extraordinaire humilité », dit-il, recevant au passage de nombreux « Amen » enthousiastes.
Une autre réalité
Dans l’assemblée, Kevin apprécie, lui aussi. « C’est mon pasteur de New Song qui m’a parlé de cette initiative », explique cet étudiant de 23 ans, originaire du sud-est de Los Angeles, qui a parcouru une soixantaine de kilomètres en voiture pour venir écouter le pasteur Cue Jn-Marie. « Je viens une fois par mois. Ça me force à sortir de ma bulle, ça me confronte à une autre réalité sociale. J’ai d’ailleurs récemment décidé de donner un coup de main dans l’une des soupes populaires du quartier. »
Après l’office, des bénévoles remplacent le pupitre du pasteur par des tables sur lesquelles on dépose des cartons remplis de nourriture et de couvertures. Sur le trottoir, une centaine de nouveaux venus affamés affluent, sous l’œil inquisiteur de la police, qui effectue toute la nuit des rondes en voiture, dans le quartier.
À quelques mètres, une jeune fille blonde discute avec TC Alexander, un sans-logis d’une cinquantaine d’années. Il porte une casquette sur laquelle est inscrit le mot « Blessed » (béni). « Je viens ici tous les vendredis soir. C’est un rendez-vous important pour moi, confie-t-il. Ma rencontre avec Dieu a changé ma vie. Voilà 18 mois que je n’ai plus touché à une seule goutte d’alcool ni à aucune drogue. Et à Skid Row, je peux vous dire que ça relève du miracle. »
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